mercredi 20 mars 2013

L ' extrait des douches

L’épisode des douches  était un moment de grande émotion.
Elles étaient concentrées dans une longue pièce en forme de L majuscule.
A quai, je trouvais l’endroit déjà peu intime dès que nous étions plus de deux ou trois. Par contre, dès que le bateau put prendre la mer, c’était la bousculade à chaque relève de quart pour arriver à prendre place sous une pomme.

Trente-cinq bonhommes en moyenne qui prenaient la douche en même temps quand il  restait  moins d’une vingtaine de chaînettes au plafond (séparées chacune de moins d’un mètre), ça coinçait forcément !
  Une épaisse buée provoquée par une eau assez chaude jamais évacuée par l’absence d’aération, mêlée à un éclairage ridicule souvent défaillant, donnait une vision  glauque de bain turc. Le tout sonorisé par des braillements suggérant que l’excitation était à son comble. Un « exhibitorium » collectif géant ! Une sorte de calendrier du Stade Français vécu au quotidien. 
Nous avions tous autour de vingt ans et les plus âgés des quartiers-maîtres n’avaient pas trente ans. L’érotisme torride de cette situation frisait l’indécence.

Les qualités physiques requises pour ce type de métier impliquaient des corps sportifs, plutôt vigoureux. Il n’y avait donc pas beaucoup de gars repoussant, aux physiques ingrats. Toutes les régions de France et d’outremer étaient représentées : des grands nordiques secs et robustes à la peau blanche, de petits trapus musclés tatoués et velus, des créoles et moi au milieu.

  Il paraissait parfaitement naturel que nous soyons presque toujours aussi serrés à se cogner des épaules. Sans compter que lorsque la mer était mauvaise, nous étions projetés les uns contre les autres aux rythmes des roulis et tangages, et le savon aidant, les chutes n’étaient pas rares et parfois collectives.

Malgré la pénombre et l’épais brouillard, je pouvais quand même observer les comportements ambigus de certains individus.
Il y avait tout d’abord les forts en gueule qui déboulaient en trombe, hurlant pour signaler leur présence :
 - Une place tout de suite où j’en sodomise un ! 

Et lorsqu’une autre forte tête, par jeu,  défendait farouchement sa chaînette, il y avait une sorte de simulation de viol qui faisait exploser de rire les acteurs et spectateurs de cet incroyable spectacle :
- Ah toi alors, t’es vraiment un gros pédé ! 

Bien souvent ce genre de scénario qui amusait tout le monde, avait pour effet non désiré  de leurs provoquer un début d’érection à peine dissimulée. 
Effectivement, à force de se tripoter pour se montrer bien membrés, compétition de virilité oblige, ces exhibitionnistes ne restaient pas souvent  au repos complet.

Il était difficile d’apercevoir à plus de deux mètres ceux qui se trouvaient là, et la deuxième catégorie de personnage, dont je faisais partie, tentait de se faufiler dans l’autre barre du L, assez profonde, cherchant l’intimité propice à une douche tout simplement. Encore moins bien éclairé, cet endroit souvent plus calme d’où l’on entendait résonner au loin les scènes citées plus haut, n’en était pas moins torride.
Les regards semblaient détournés, mais tout le monde s’observait nonchalamment par de petits coups d’œil furtifs. Je n’en perdais pas une miette.

Lorsque le roulis s’en mêlait, je feignais une sorte d’agacement discret, ferme mais poli, à chaque frottement de mes voisins. Le degré d’excitation était variable et difficilement contrôlable, mais nous semblions plus préoccupés à pouvoir rester debout, que par l’insistance des regards voyeurs. Cela avait l’air de faire partie du jeu et devenait naturel.
Lorsque l’un de nous avait une érection trop visible, aucune moquerie dans cette partie du L ne venait troubler le calme. Quelques sourires de complicité échangés dans cette ambiance silencieuse et embuée traduisaient l’amusement des uns à exposer glorieusement la taille avantageuse de leur virilité tandis que les autres félicitaient le propriétaire par un :
- Eh bien ! Y en a une qui ne doit pas s’ennuyer !?
- Pourquoi qu’une ?

Mais où pouvait bien se situer la limite ? Et comment interpréter les attitudes plus ou moins équivoques de tous ces garçons tous aussi craquants les uns que les autres ? Toutes ces fesses rebondies, savonnées, frottées et tous ces torses bombés, caressés dans un ballet aquatique moussant m’obligeaient à garder un air détaché impassible.
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